Mieux comprendre l’origine de nos biais cognitifs, qui n’épargnent personne, pour mieux les contrer

Préambule : Je suis le frère de deux aveugles. Pourtant, ces deux aveugles ne sont pas mes frères. Comment est-ce possible ? (réponse à la fin de cet article)

L’Etre humain est orgueilleux. Nous avons une tendance naturelle à avoir une assez haute estime de nos réflexions car nous pensons que nos jugements sont fondés et que nos décisions sont rationnelles, surtout si nous avons fait de brillantes études. 

Nous n’avons généralement pas conscience que nos réflexions sont issues, la plupart du temps, de la partie la plus primitive de notre cerveau, le mode automatique, qui n’a pas évolué depuis l’époque préhistorique.

Se laisser gouverner par le mode automatique est tout à fait adapté lorsqu’il s’agit d’effectuer des taches routinières ou des réflexions basiques. Cela l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit de faire face à des situations nouvelles ou problématiques. De nombreux biais cognitifs émergent alors. Cette non-conscience du fonctionnement de notre cerveau est donc la source de nombreux conflits relationnels et problématiques inextricables. 

Selon Jean-François Le Ny, psychologue cognitif, « Un biais cognitif est une distorsion que subit une information en entrant dans le système cognitif ou en sortant. Dans le premier cas, le sujet opère une sélection des informations, dans le second, il réalise une sélection des réponses. » 

Nous avons tous intérêt à mieux comprendre comment notre cerveau fonctionne afin de pouvoir davantage nous appuyer sur notre magnifique intelligence (le mode adaptatif) individuelle et collective, et ainsi parvenir à la mettre au service de la résolution pertinente de nos problématiques. 

Nous savons tous que nos défis sociétaux, économiques et environnementaux sont de plus en plus complexes et urgents. Dans le monde du travail, la situation n’est pas plus idyllique : les problématiques se heurtent à de nombreuses aberrations et injonctions paradoxales et, en raison de « l’accélération du temps », les dossiers importants sont souvent sacrifiés au profit de ceux les plus urgents. 

Pour le dire simplement, nous consacrons de moins en moins de temps à la résolution de nos problématiques alors que celles-ci sont de plus en plus complexes, et ceci sans même savoir que c’est le mode le plus primitif de notre cerveau, avec ses nombreux biais cognitifs, qui est au commande…. 

Il est donc urgent de prendre conscience que nous devons :

  1. Prendre le temps de nous consacrer aux problématiques importantes
  2. Découvrir quels sont nos biais cognitifs et comment les contrer
  3. Nous outiller pour analyser de manière systémique et pertinente tout type de problématiques 
  4. Nous outiller pour y répondre de manière tout aussi systémique et pertinente 

Je suis convaincue que la première chose à apprendre est l’humilité : l’humilité d’admettre que l’on ne sait rien, ou si peu, malgré nos éventuelles longues années d’études et brillants résultats, et qu’il convient donc de constamment se remettre en question, chercher à développer nos connaissances et nos pratiques, et travailler de manière transdisciplinaire pour une meilleure intelligence collective. 

J’ose espérer que les futures générations seront formées à ces sujets durant leur scolarité, que notre système éducatif va vite valoriser l’humilité intellectuelle, le questionnement, la recherche de solutions, la soif d’apprendre (innée, il suffit de regarder tous les enfants lorsqu’ils ne sont pas à l’école), le travail collaboratif transdisciplinaire…, autant de compétences indispensables au monde de demain, et même actuel… 

Revenons aux biais cognitifs que nous devons apprendre à identifier et à contrer pour parvenir à nous appuyer sur toute notre intelligence.

Les neurosciences cognitives nous apprennent que la raison d’être des biais cognitifs, qui émergent lorsque le mode automatique de notre cerveau est au commande, est d’assurer notre survie.

Leur première fonction est donc nous faire prendre conscience d’un danger. Ce qui explique que nous avons naturellement tendance à accorder plus de crédit à tout ce qui est négatif, menaçant, risqué qu’à ce qui est positif. Leur seconde fonction est de nous faire économiser de l’énergie. Leur troisième est de produire du sens (ou de s’aveugler face à du non sens), l’être humain ne pouvant pas vivre sans sens. 

Il est important de préciser que chacun d’entre nous a tendance à s’évaluer comme étant moins sujet aux différents biais que les autres personnes. Nous avons du mal à admettre que nous ne pouvons pas faire confiance à notre propre réflexion. Ce « biais d’orgueil » a été démontré par une expérience scientifique de Psychologie Sociale en 2002 par Pronin, Lin et Ross, trois chercheurs américains. Par exemple, nous avons tendance à penser que les intérêts personnels biaisent les opinions politiques des autres personnes et que leur perception des conflits est biaisée par leur émotivité personnelle, sans vouloir reconnaître que nous sommes tout autant biaisés par les mêmes paramètres. 

Voici trois biais cognitifs qu’il est essentiel de connaître dans le monde de l’entreprise afin de mieux les contrer.

Le biais de confirmation : Parce que réfléchir consomme beaucoup d’énergie, nous avons tendance à accorder davantage de crédit aux informations qui nourrissent nos avis pre-existants et, dans le même temps, à ignorer (ou rabaisser) celles qui les menacent (peu importe qu’elles soient valides ou non) et donc à ne pas prendre le temps ni la peine de rechercher des informations complémentaires qui seraient pourtant fort utiles, notamment si l’on souhaite mieux analyser une problématique. 

Proche du biais de confirmation, le biais d’endogroupe est une manifestation de notre tendance innée au tribalisme. Ce biais nous fait surestimer les valeurs et capacités de nos proches, et sous-estimer celles des autres « tribus ». 

Pour contrer ces deux biais (de confirmation et d’endogroupe) dans le monde du travail, je conseille d’organiser de nombreux groupes de travail transdisciplinaires avec la consigne d’intégrer l’exhaustivité des points de vue (il n’y a pas à être d’accord ou pas d’accord, juste à en tenir compte) et de faciliter l’appropriation et l’analyse de ces différents points de vue par de la visualisation d’information (design d’information). 

Parlons ensuite du biais de négativité qui est extrêmement lié à notre instinct de survie. Notre mode primitif est une sorte de garde du corps qui est chargé de nous alerter de toutes les menaces qui risquent de nous mettre en danger. Pour notre survie, il a appris à se focaliser sur tous les événements ou prédictions négatives. Il est résulte que nous accordons toujours aujourd’hui, même si les risques d’atteinte à notre vie sont relativement faibles, davantage d’importance aux choses négatives qu’à celles positives. 

Ainsi, en termes de management, vos collaborateurs accorderont beaucoup plus de crédit à vos propos négatifs qu’à ceux positifs, impactant négativement leur confiance en eux, leur motivation et leur engagement. Il est donc essentiel d’apprendre à formuler un feedback constructif : qu’il soit positif ou négatif, il doit être extrêmement factuel et ne comporter aucun « mais ». En disant « mais », notre interlocuteur ne retient que ce qui suit le « mais », et non pas ce qui le précède.  Par exemple, si vous dites « tu as fait du bon travail mais ils ne l’ont pas compris », votre interlocuteur n’entendra pas qu’ »il a fait du bon travail », seulement qu »’ils ne l’ont pas compris ». Remplacez le « mais » par « et » ou « et, curieusement, » ou « et, en même temps » vous permettra de me mieux faire passer votre message…. Le résultat est assez bluffant.

Enfin, si vous avez un message réellement négatif à transmettre, il sera judicieux d’utiliser le principe du « sandwich »: commencer par un point positif puis présenter un point d’amélioration (préférable à un point négatif) et terminer par un point positif. Le message sera ainsi beaucoup plus facile à digérer par votre interlocuteur.

Il est important de souligner que, comme on le sait, le naturel revient toujours au galop et que la prise de conscience ne suffit malheureusement pas. Pour réussir à identifier nos biais, il est nécessaire de faire preuve d’énormément d’humilité et d’avoir la volonté de se remettre en question (concrètement, posez-vous la question « et si j’avais tort? » le plus souvent possible) et pour contrer nos biais, il n’y a pas de secret: il faut énormément pratiquer ! Il semblerait qu’il faille 21 jours de pratique continue pour ancrer une nouvelle habitude.

Testez et vous constaterez de vous-même le résultat ! Et cela fonctionne aussi avec vos enfants, votre conjoint, vos parents, etc… 

Vous vous souvenez de la devinette en préambule, voici la solution : Ces 2 aveugles sont mes sœurs ! Une autre solution: je suis (du verbe « suivre ») le frère de deux aveugles.

Aurélie Marchal

Ancienne auditeur interne bancaire, j’ai appris à faire des diagnostics et à émettre des préconisations. D’esprit très critique, à la recherche de sens et de résultat, j’ai beaucoup questionné la pertinence de ce qu’on m’inculquait et l’état d’esprit sur lequel cela reposait. Je me suis formée à d’autres démarches qui reposent sur d’autres états d’esprit (Design Thinking, Creative Problem Solving, Approche Neurocognitive et Comportementale, Lego Serious Play, Coaching, Communication Non Violente) et j’ai créé ma propre approche que j’améliore sans cesse depuis 2011 et qui aboutit à des résultats très pertinents.