Les entreprises font-elles suffisamment appel à l’intelligence collective ?

Une personne m’a aujourd’hui posé la question : les entreprises font-elles beaucoup appel à votre démarche d’intelligence collective par le design thinking ?

Malheureusement trop peu.

Toutes les entreprises ont des problèmes à résoudre et des chantiers de transformation à mener. Et cela va s’amplifier avec le phénomène de la « grande démission » qui arrive actuellement en Franc.

Certains dirigeants et managers ont compris l’intérêt de l’intelligence collective et du design thinking.

Un exemple concret

Un dirigeant d’entreprise industrielle de 200 personnes (constructeur de camions de convois exceptionnels) a fait appel à moi parce qu’il souffrait de la culture extrêmement patriarcale qu’il avait héritée de ses prédécesseurs. Ses collaborateurs n’avaient jamais appris à travailler ensemble et à résoudre leurs problèmes par eux-eux, et ils venaient sans arrêt lui demander de trancher sur des sujets opérationnels qui étaient du ressors de ses équipes. Il ne parvenait pas se consacrer pleinement à sa mission de Directeur d’entreprise et il était à bout.

Je lui ai alors proposé de mettre en place des ateliers de résolution de problèmes pour amener ses équipes à retrouver leur autonomie, pour les responsabiliser, pour leur apprendre à travailler ensemble et à résoudre leurs difficultés.

J’ai soumis mon accompagnement au respect de ces 2 conditions :

  • les participants devaient choisir par eux-mêmes les problématiques sur lesquelles ils voulaient travailler
  • le Directeur devait s’engager à leur laisser expérimenter les solutions qu’ils auraient trouvées

Les ateliers ont démarré. Les participants ont proposé de nombreuses problématiques puis les ont sélectionnées.

« Comment faire pour convaincre le DG de rendre la réunion X obligatoire ? »

L’une d’elle était « Comment faire pour convaincre le DG de rendre la réunion X obligatoire ? », formulation qui illustrait parfaitement se dont se plaignait le DG: il était attendu de lui qu’il décide de tout. J’ai guidé les participants pour qu’ils questionnent et reformulent par eux-mêmes la problématique. Puis ils ont trouvé par eux-mêmes la solution : charger 2 personnes de collecter différentes données auprès de différents directeurs.

La solution était certes très simple et elle aurait pu leur être donnée. L’essentiel, vous l’avez compris, était qu’ils expérimentent le fait qu’ils étaient pleinement en capacité de trouver des solutions très rapidement, par eux-mêmes, et qu’ils se fédèrent autour de cette solution.

« Il est payé plus cher que nous parce que c’est lui qui prend le risque. »

Une autre problématique était « Comment améliorer le service après-vente ? ». Après avoir reformulé la problématique, au tout début de la recherche de solutions, les participants me disent qu’ils n’arrivent pas à se mettre d’accord entre 2 pistes de solutions : A et B.

Je leur demande alors « A est une bonne solution ? »

Ils me répondent en choeur « Non ».

Je poursuis « B est une bonne solution ? »

Ils me répondent toujours en choeur « Non ».

Je suis là interloquée et je leur demande « Pourquoi voulez-vous choisir entre A et B puisque vous savez qu’aucune des deux n’est une bonne solution ? »

L’un d’entre eux me répond « Parce qu’on ne trouve pas d’autres solutions, et notre chef n’est pas là pour trancher. »

Je leur demande alors « Pourquoi votre chef devrait trancher entre 2 mauvaises solutions ? »

Et l’un d’entre eux me répond « Ben parce qu’il est payé pour ça. Il est payé plus cher que nous parce que c’est lui qui prend le risque. »

Et là, les bras m’en tombent. Je leur réponds « Effectivement votre responsable est payé plus que vous mais ce n’est pas pour compenser le fait qu’il prenne le risque de mettre en œuvre une mauvaise solution. Son rôle, c’est de trouver comment vous aider, en faisant par exemple appel à une personne comme moi, à co-construire une solution C qui sera pertinente et qu’il n’aura plus qu’à valider. »

Je vois qu’eux aussi sont interloqués par ma réponse. Puis je les accompagne pour qu’ils développent une solution pertinente que leur responsable pourra valider.

Difficulté #1 : lâcher prise et faire confiance

A l’opposé, certains autres dirigeants ont besoin de tout contrôler et de tout décider. Ceux-là ne font pas appel à moi. Ils ne parviennent pas à faire suffisamment confiance à leurs collaborateurs (peut-être parce que ceux-ci n’ont jamais été responsabilisés. C’est le phénomène de « l’oeuf et la poule »: quelle est la cause originelle ? on le ne sait pas, mieux vaut donc s’attarder à ce qu’on souhaite pour le présent et pour le futur). Ces dirigeants ne sont donc pas en capacité de donner du pouvoir à leurs collaborateurs. Ils craignent qu’ils en fassent mauvais usage, à tort de mon point de vue.

Difficulté #2 : croire encore en l’intelligence collective après une mauvaise expérience

Certains dirigeants ont tenté l’expérience de l’intelligence collective, de la créativité, du design thinking. Les ateliers ont suscité de l’adhésion ainsi que de fortes attentes mais malheureusement le déploiement n’a pas suivi, principalement parce qu’un certains nombres d’écueils ont mal été anticipés au cours de la démarche: les parties prenantes ont mal été identifiées au départ et/ou certaines n’ont pas été embarquées et/ou la problématique a mal été reformulée et/ou les solutions choisies n’étaient pas pertinentes et/ou les solutions n’ont pas été suffisamment testées et améliorées et/ou le lancement des solutions n’a pas ou a mal été préparé, etc.. Malheureusement, après une mauvaise expérience, on a tendance à « jeter le bébé avec l’eau du bain ».

Difficulté #3 : le besoin de se protéger en faisant appel à un « sachant » externe

Enfin, il existe une dernière catégorie de dirigeants et de managers qui ne s’intéresseront jamais à ma démarche : ils ont besoin de se protéger en se déchargeant de la responsabilité des risques liés au projet qu’ils portent. C’est un phénomène qui a aussi été analysé par le sociologue François Dupuy que j’ai eu le plaisir d’interviewer : https://www.youtube.com/watch?v=GTWTtFLuaEY

La meilleure manière pour eux de se protéger est de faire appel à un cabinet de conseil extrêmement réputé (et onéreux: plus il est onéreux, plus sa légitimité augmente) qui mettra en oeuvre une solution descendante donc très probablement déconnectée de la réalité. Cette solution sera tout aussi probablement inopérante et elle engendrera donc résistance et désengagement. On est là dans le paradigme malheureusement encore très présent qui consiste à croire qu’il est possible de faire appel à un « sachant » externe qui saura parfaitement comprendre votre problème et y apportera la solution parfaite, tel un Dieu du conseil omniscient et infaillible.

Changement de paradigme

L’intelligence collective par le design thinking repose sur le paradigme opposé: les personnes du terrain sont les mieux placées pour identifier les véritables problématiques et co-construire des solutions pertinentes, à la condition sine qua non d’être correctement accompagnés. Les experts ou sachants interviennent alors pour nourrir les participants de leurs connaissances spécifiques.

Pourquoi le design thinking ?

Une autre question que l’on me pose souvent est : qu’est-ce qu’apporte le design thinking à l’intelligence collective ? Énormément de choses, et cela fera l’objet d’un autre article.

L’apport le plus palpable que je peux déjà vous communiquer est la visualisation et la mise en forme :

  • tant des données à analyser, ceci afin de mieux tenir à distance les inévitables biais cognitifs que nous avons tous (et qui ne disparaissant malheureusement pas quand nous en avons conscience) d’autant plus lorsque ces données sont très nombreuses et complexes
  • que de la solution en cours de co-construction: la mise en forme (y compris de process et d’organisation) permet de faciliter et d’accélérer les échanges et les décisions : les participants au projet peuvent très rapidement distinguer visuellement là où ils sont d’accord et là où ils ne le sont pas, et ce qui restent à co-construire.

Aurélie Marchal

Ancienne auditeur interne bancaire, j’ai appris à faire des diagnostics et à émettre des préconisations. D’esprit très critique, à la recherche de sens et de résultat, j’ai beaucoup questionné la pertinence de ce qu’on m’inculquait et l’état d’esprit sur lequel cela reposait. Je me suis formée à d’autres démarches qui reposent sur d’autres états d’esprit (Design Thinking, Creative Problem Solving, Approche Neurocognitive et Comportementale, Lego Serious Play, Coaching, Communication Non Violente) et j’ai créé ma propre approche que j’améliore sans cesse depuis 2011 et qui aboutit à des résultats très pertinents.