Après une carrière d’une dizaine d’année dans une banque d’affaire (chargée de la gestion des risques opérationnels puis auditeur interne), j’ai découvert le design en janvier 2010 lors d’une conférence de l’APCI sur l’innovation sociale. J’ai compris ce jour là que le design était une démarche de problématisation et de recherche de solutions pertinentes en se focalisant sur l’humain. Me basant sur mon expérience professionnel, je me suis alors demandée : pourquoi les designers ne s’intéressent-ils pas au monde de l’entreprise où il y a tant de choses à améliorer en partant de l’humain ?
Creusant le sujet, je suis vite tombée sur le terme de « design thinking » qui décrit la démarche des designers, lorsqu’ils travaillent en intelligence collective et pluridisciplinaire et qui présentait à l’époque l’avantage d’interpeller mon interlocuteur. Si je lui parlais d’améliorer le fonctionnement de l’entreprise par le design, il ne me comprenait pas. La video Deep Dive, même si elle date de 1999, reste une très bonne illustration d’un projet mené par design thinking (en accéléré sur 5 jours dans le cas de Deep dive, ce qui n’est pas représentatif du temps habituellement nécessaire): https://www.youtube.com/watch?v=1t01Q78Civ0
Suite à un Executive MBA, à un mémoire sur le sujet (disponible sur Amazon) puis 6 mois en école de design (L’Ensci les Ateliers), j’ai développé mon activité d’accompagnement des entreprises et administrations dans leurs projets de transformation par le design thinking.
Près de 10 ans après ma découverte du design thinking, le terme est aujourd’hui très connu et, en même temps, sa compréhension est extrêmement évanescente. C’est à la fois très énervant et tout à fait normal : c’est en effet inhérent au processus d’intégration de tout nouveau concept de perdre en substance à mesure qu’il gagne en notoriété. Il en est de même avec l’agilité, l’intelligence artificiel, les neurosciences, la blockchain, etc. Tout le monde en parle et peu de personnes savent vraiment de quoi il s’agit. Cela demande beaucoup de temps pour qu’un concept soit à la fois connu (en termes de vocable) et maîtrisé en profondeur.
C’est donc normal et, en même temps, ça ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire, bien au contraire : il est essentiel de redoubler d’effort en termes de pédagogie, d’où mon souhait de former le plus largement et rapidement possible des professionnels du design thinking qui maîtrisent vraiment le sujet, qui connaissent les enjeux et qui soient en capacité de mener des projets réussis d’innovation ou de transformation par le design thinking.
Quels sont donc ces aspects essentiels qui nécessitent de mieux être maitrisés ?
Je vais me focaliser ici sur 2 pré-requis :
Premièrement, surfant sur la mode du design ou du design thinking, de nouveaux termes sont apparus, tels que co-design, user centric design, human design, etc. ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi. Ce qui est plus problématique est l’étonnante déconnexion de ces termes, et des personnes qui les emploient, avec le monde du design (dont la compréhension a du mal à s’étendre au-delà de l’objet et de la décoration, alors que le design s’applique même à la stratégie militaire !).
Le cœur du problème est ici que de nombreuses personnes s’intéressant au design thinking n’ont pas conscience (ou ne veulent pas reconnaître) que les spécialistes du design, et donc du design thinking, sont les designers. Nombreuses de ces personnes ne perçoivent donc absolument pas le rôle du designer dans une démarche de design thinking, ce qui est assez paradoxal, et n’ont donc pas l’idée d’intégrer un designer dans le projet… Et lorsqu’elles perçoivent le rôle du designer, elles tendent à penser qu’elles peuvent s’en dispenser puisqu’elles ont compris ce qu’est le design thinking (à leur décharge, elles ne savent pas qu’il faut 5 ans d’étude pour être designer, et si elles le savent, elles minimisent le sérieux de ces 5 années d’étude), comme s’il suffisait de savoir qu’il faut appuyer sur les notes d’un piano et comprendre la lecture des notes sur une portée pour faire de nous un pianiste, ou suivre une recette pour faire de nous un cuisinier, etc.
J’explique durant mes formations quels sont les rôles du designer et comment articuler ces rôles avec les rôles des autres membres du projet.
Le risque est alors que ces personnes mettent en place des projets de design thinking de moindre qualité, faisant planer le doute sur la valeur ajoutée du design thinking, et amenant ainsi de plus en plus de personnes à jeter le bébé avec l’eau du bain.
Deuxièmement, la personne sensibilisée au design thinking pense également être en mesure de faciliter un projet de design thinking. Le souci est que, à ma connaissance, les formations au design thinking existantes n’intègre pas la facilitation, alors que c’est une véritable compétence qui ne s’improvise pas et qui risque de faire capoter le projet si elle est mal maitrisée.
La facilitation d’un projet de design thinking est une fonction très récente parce que designers peinent encore aujourd’hui à exister à leur juste valeur, et donc à intégrer une équipe pluridisciplinaire dès l’amont du projet. Traditionnellement, le service marketing fait appel aux designers lorsque le produit a déjà été conçu dans ses grandes lignes, afin de le finaliser, et les designers ont longtemps travaillé, par défaut, de manière assez isolée.
Le facilitateur est le garant de la réussite du projet. Son rôle est de faire travailler ensemble tous les participants au projet, dont le ou les designers, de les challenger avec rigueur, exigence et bienveillance, tout en s’assurant de les mener au résultat attendu : des solutions pertinentes et opérationnelles. Le facilitateur a aussi la grande responsabilité de faire basculer les participants dans la posture adéquate pour chaque phase et de veiller au respect de cette posture, sinon participants risquent fort d’accoucher d’un souris.
Le facilitateur fait quantité d’autres choses comme, en amont du projet, co-concevoir le projet avec le commanditaire en intégrant les contraintes, choisir les catégories de participants, dont le designer et des experts, réfléchir à la manière optimale de les intégrer dans le projet, concevoir (au cas par cas et avec le designer) des outils adaptés, etc.
Le facilitateur doit aussi percevoir lorsque le commanditaire, non spécialiste du design thinking, a des objectifs et attentes qui sont contradictoires avec la démarche, par exemple, vouloir mettre en place un projet pour chercher des solutions alors que le commanditaire sait déjà ce qu’il veut faire ou alors, faire l’économie de la première étape de reformulation de la problématique. Le facilitateur doit identifier les risques de se faire instrumentaliser, que ce soit de manière consciente ou inconsciente, par le commanditaire et doit savoir y faire face.
C’est pour toutes ces raisons, et parce que dans notre monde de plus en plus complexe, il est de plus en plus indispensable de savoir amener des équipes pluridisciplinaires à se poser les bonnes questions et à y répondre de manière pertinente, que j’ai décidé de créer une formation de facilitation de projets d’innovation et/ou de transformation par le design thinking.
Je précise que je suis en train de faire les démarches pour que cette formation soit certifiante (avec un mémoire et une soutenance devant un jury courant 2020) pour ceux qui le souhaitent.