Penser autrement: quels sont nos principaux biais cognitifs ?

Vues les circonstances, je trouve opportun de partager ici un extrait de mon programme « Penser autrement » pour inciter à la solidarité, au respect du confinement et des mesures barrières.

Nous n’avons généralement pas conscience que nos réflexions sont issues, la plupart du temps, de la partie la plus primitive de notre cerveau, qu’on appelle en Approche Neurocognitive et Comportementale le mode automatique, qui n’a pas évolué depuis l’époque préhistorique…

Se laisser gouverner par le mode automatique est tout à fait adapté lorsqu’il s’agit d’effectuer des taches routinières ou des réflexions basiques. Cela l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit de faire face à des situations nouvelles ou problématiques, et encore moins catastrophiques, comme celle que nous vivons actuellement…

De nombreux biais cognitifs émergent alors. Cette non-conscience du fonctionnement de notre cerveau est donc la source de nombreux conflits relationnels et problématiques inextricables.

Selon Jean-François Le Ny, psychologue cognitif, « Un biais cognitif est une distorsion que subit une information en entrant dans le système cognitif ou en sortant. Dans le premier cas, le sujet opère une sélection des informations, dans le second, il réalise une sélection des réponses. » Pour le dire simplement, c’est lorsqu’on est persuadé d’une chose et que l’on se trompe. Ca peut-être un raccourci inopportun ou une fausse croyance.

Prise de conscience :

Connaissez-vous la légende de Sissa ? La légende se situe 3 000 ans av. J.C. 

Le roi Belkib des Indes promit une récompense fabuleuse à qui lui proposerait une distraction qui le satisferait.
Lorsque le sage Sissa, fils du Brahmine Dahir, lui présenta le jeu d’échecs, le souverain, demanda à Sissa ce que celui-ci souhaitait en échange de ce cadeau extraordinaire.
Sissa demanda au prince de déposer un grain de riz sur la première case, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite pour remplir l’échiquier en doublant la quantité de grain à chaque case.
Le prince accorda immédiatement cette récompense sans se douter de ce qui allait suivre.
Son conseiller lui expliqua qu’il venait de précipiter le royaume dans la ruine car les récoltes de l’année ne suffiraient pas à payer Sissa.

Je vous invite à ouvrir un fichier excel pour calculer le nombre de grain de riz dans la 64ème case… et vous réaliserez à quel point le mode automatique de notre cerveau peut nous jouer des tours….

Je vous donne néanmoins la solution, faramineuse. Cela représente plus de 18 milliards de milliards de grains !

Le poids moyen d’un grain de riz étant de 0,04 g, cela représenterait 720 000 millions de tonnes !

Sachant que la production mondiale de riz est estimée à 699 millions de tonnes, il faudrait donc plus de 1 000 ans de production mondiale de riz pour atteindre cette faramineuse quantité !!

C’est incroyable, n’est-ce pas ?

Nous avons donc tous intérêt à mieux comprendre comment notre cerveau fonctionne, et donc également ses biais, afin de pouvoir davantage nous appuyer sur notre magnifique intelligence (le mode adaptatif) individuelle et collective, et ainsi parvenir à la mettre au service de la résolution pertinente de nos problématiques.

Nous savons tous que nos défis sociétaux, économiques et environnementaux sont de plus en plus complexes et urgents. Nous en avons la douloureuse preuve actuellement avec la pandémie du Coronavirus. Son niveau de gravité était connu, nous savions qu’elle allait s’entendre en France et nous constatons tous, tous les jours, le désarroi dans lequel elle nous met.

Dans le monde du travail, la situation n’est pas plus idyllique : les problématiques se heurtent à de nombreuses aberrations et injonctions paradoxales et, en raison de « l’accélération du temps », les dossiers importants sont souvent sacrifiés au profit de ceux les plus urgents.

Pour le dire simplement, nous consacrons de moins en moins de temps à la résolution de nos problématiques alors que celles-ci sont de plus en plus complexes, et ceci sans même savoir que c’est le mode le plus primitif de notre cerveau, avec ses nombreux biais cognitifs, qui est au commande….

Il est donc urgent de prendre conscience que nous devons :

  • Prendre le temps de nous consacrer aux problématiques importantes
  • Découvrir quels sont nos biais cognitifs et comment les contrer
  • Nous outiller pour analyser de manière systémique et pertinente tout type de problématiques
  • Nous outiller pour y répondre de manière tout aussi systémique et pertinente

Les neurosciences cognitives nous apprennent que la raison d’être des biais cognitifs, qui émergent lorsque le mode automatique de notre cerveau est au commande, est d’assurer notre survie.

Leur première fonction est donc nous faire prendre conscience d’un danger. Ce qui explique que nous avons naturellement tendance à accorder plus de crédit à tout ce qui est négatif, menaçant, risqué qu’à ce qui est positif. Leur seconde fonction est de nous faire économiser de l’énergie. Leur troisième est de produire du sens (ou de s’aveugler face à du non-sens), l’être humain ne pouvant pas vivre sans sens.

Il est important de préciser que chacun d’entre nous a tendance à s’évaluer comme étant moins sujet aux différents biais que les autres personnes. Nous avons du mal à admettre que nous ne pouvons pas faire confiance à notre propre réflexion. Ce « biais d’orgueil » a été démontré par une expérience scientifique de Psychologie Sociale en 2002 par Pronin, Lin et Ross, trois chercheurs américains. Par exemple, nous avons tendance à penser que les intérêts personnels biaisent les opinions politiques des autres personnes et que leur perception des conflits est biaisée par leur émotivité personnelle, sans vouloir reconnaître que nous sommes tout autant biaisés par les mêmes paramètres.

Voici trois biais cognitifs qu’il est essentiel de connaître afin de mieux les contrer:

Le biais de confirmation: Parce que réfléchir consomme beaucoup d’énergie, nous avons tendance à accorder davantage de crédit aux informations qui nourrissent nos avis pre-existants et, dans le même temps, à ignorer (ou rabaisser) celles qui les menacent (peu importe qu’elles soient valides ou non) et donc à ne pas prendre le temps ni la peine de rechercher des informations complémentaires qui seraient pourtant fort utiles, notamment si l’on souhaite mieux analyser une problématique.

Proche du biais de confirmation, le biais d’endogroupe est une manifestation de notre tendance innée au tribalisme. Ce biais nous fait surestimer les valeurs et capacités de nos proches, et sous-estimer celles des autres « tribus ».

Pour contrer ces deux biais (de confirmation et d’endogroupe) dans le monde du travail, je conseille d’organiser de nombreux groupes de travail transdisciplinaires avec la consigne d’intégrer l’exhaustivité des points de vue (il n’y a pas à être d’accord ou pas d’accord, juste à en tenir compte) et de faciliter l’appropriation et l’analyse de ces différents points de vue par de la visualisation d’information (design d’information).

Parlons ensuite du biais de négativité qui est extrêmement lié à notre instinct de survie. Notre mode primitif est une sorte de garde du corps qui est chargé de nous alerter de toutes les menaces qui risquent de nous mettre en danger. Pour notre survie, il a appris à se focaliser sur tous les événements ou prédictions négatives. Il est résulte que nous accordons toujours aujourd’hui, même si les risques d’atteinte à notre vie sont relativement faibles, davantage d’importance aux choses négatives qu’à celles positives.

De manière paradoxal, et on le voit parfaitement bien les jours-ci, face à un réel danger et pour garder espoir, le biais de négativité peut se transformer en déni… On est alors face aux discours de type « Il ne faut pas communiquer de manière anxiogène » principalement par peur des mouvements de foule. On préfère s’anesthésier, se mettre en position de déni, penser que le mouvement de foule incontrôlé serait plus catastrophique que le danger lui-même, alors que c’est généralement l’inverse.

C’est la position de « on ferme les yeux, on ne bouge plus et on croise les doigts. » que les enfants peuvent avoir, parce que, par nature, ils subissent les événements.

Une combinaison de ces 3 biais peut aussi conduite au biais de toute puissance « même pas peur » face à un danger imminent:

  • je me réconforte en m’entourant de personnes qui pensent comme moi (biais d’endrogroupe ; ex: le coronavirus a frappé les chinois mais chez nous ça sera différent),
  • je n’intègre que les informations qui confortent mon point de vue (biais de confirmation ; ex: le nombre de morts est faible par rapport au nombre de morts de la grippe saisonnière)
  • et je refuse de voir la gravité de la situation (déni ; ex: je décide de zapper les infos parce qu’elles deviennent décidément trop anxiogène… déjà qu’il faut que je supporte le confinement…).

Ce qui devient très embêtant lorsque la résolution de la problématique repose sur la solidarité.

Mise en pratique personnelle :

1. Pour commencer, soyez attentifs aux paroles et comportements des personnes de votre entourage et/ou de personnes publiques et essayez d’identifier leurs biais. Il y a des choses intéressantes à identifier ces jours-ci…

2. Ensuite, plus difficile, remettez en cause vos croyances : je vous invite à choisir une certitude et de manière très concrète, avec humilité et authenticité, posez-vous la question « et si j’avais tort ? » et essayez d’envisager l’opposé de ce que vous avez toujours pensé pour voir ce qu’il se passe.

3. Partagez vos réflexions 

Aurélie Marchal

Ancienne auditeur interne bancaire, j’ai appris à faire des diagnostics et à émettre des préconisations. D’esprit très critique, à la recherche de sens et de résultat, j’ai beaucoup questionné la pertinence de ce qu’on m’inculquait et l’état d’esprit sur lequel cela reposait. Je me suis formée à d’autres démarches qui reposent sur d’autres états d’esprit (Design Thinking, Creative Problem Solving, Approche Neurocognitive et Comportementale, Lego Serious Play, Coaching, Communication Non Violente) et j’ai créé ma propre approche que j’améliore sans cesse depuis 2011 et qui aboutit à des résultats très pertinents.