J’entends de nombreuses personnes se demander si le design thinking n’est pas juste une mode, ou une manière différente d’appeler quelque chose qui existait déjà ?
Grâce à une métaphore, je vais vous expliquer pourquoi le design thinking n’est pas une mode et quelles sont ses conditions de succès.
Telle la nature qui reprend ses droits en milieu hostile, les principes de bon sens reprennent leurs droits sous l’effet de la révolution numérique, ceci grâce à l’accès généralisé à l’information, le partage d’expériences, l’effondrement de la hiérarchie, etc.
Vous pouvez observer l’émergence de ce bon sens dans de nombreux domaines :
- dans l’IT avec par exemple la démarche scrum, itérative, qui a pour objectif de s’adapter continuellement aux divers changements
- dans la finance, le crowd founding qui remet en cause les principes même de l’actionnariat
- on peut également parler du phénomène de l’expérience client qui va beaucoup plus loin que la démarche purement marketing
Le design thinking, lui aussi, ramène beaucoup de bon sens dans la démarche d’innovation de produit et de services et, au-delà, de recherche de solutions.
Si tout le monde est convaincu de la nécessité actuelle d’innover, les statistiques sont très décevantes : 1 produit sur 2 disparait du marché dans les 2 ans qui suivent sa commercialisation, avec des conséquences économiques très lourdes.
Pour quelles raisons les échecs sont-ils aussi nombreux, alors que l’innovation est une priorité majeure ?
Lorsqu’on imagine un produit, un service, ou de manière générale, une solution, on a tendance, naturellement, à imaginer la solution à partir de ce qu’on projette de notre propre expérience. Notre approche est donc par défaut forcément subjective. Elle dépend de notre vécu et de notre vision du moment.
L’approche de design thinking trouve son origine ici même, qui est du pur bon sens : elle nous invite à innover à partir des autres, et non pas à partir de nous-mêmes.
Comment ? En allant à la rencontre des potentiels utilisateurs. On peut les observer en situation afin d’identifier des insights qu’ils n’auraient pas mentionnés, on peut les questionner, chercher à creuser la compréhension de leur comportement par la question « pourquoi ? » répétée sans crainte de passer pour un ignorant ou un idiot, on peut se mettre dans la même situation qu’eux afin de tenter de ressentir avec empathie leurs émotions.
L’objectif est de comprendre le plus finement possible leurs comportements, leurs émotions et de détecter leurs besoins non exprimés, qui sont des pépites d’or pour qui veut innover, quelque que soit le domaine.
Attention, le travers ici est de tomber dans la projection de nos propres besoins et dans le jugement : « il devrait faire comme ceci alors il a besoin de ça »
Le deuxième aspect fondamental du design thinking est l’intelligence collaborative sur laquelle repose toute la démarche.
La démarche de design thinking est pluridisciplinaire. L’idée est d’enrichir le questionnement de la problématique par des visions très différentes et complémentaires. Il convient de faire appel non seulement aux représentants des différentes fonctions de l’entreprise mais aussi à des professionnels des ressources humaines, à des designers et à des anthropologues, pour leurs compétences d’observation et d’analyse de ces observations. On peut aussi faire appel à des psychologues, à des médecins, à des philosophes, ainsi qu’à des professionnels des sciences dures. Toutes ces ressources sont très minutieusement choisies en fonction de la problématique de départ, qui est re-questionnée avec ces différents regards afin d’aboutir à une problématique pertinente, qui fasse sens pour tous.
Le rôle du facilitateur est de donner confiance à l’équipe dans ses capacités de questionnement et de créativité et de les accompagner dans le processus. Le partage des idées doit pouvoir se faire dans un climat particulier de pure bienveillance, où règle le non-jugement et la liberté de parole. Le facilitateur doit en effet, par sa posture et ses outils, permettre à tous les participants sans exception d’exprimer en toute confiance leurs enjeux et leurs objectifs, même s’ils sont contradictoires ou conflictuels. Il doit savoir les amener habilement vers leurs objectifs communs pour concevoir une solution qui intègre leurs principaux enjeux et qui convienne à tous.
Le facilitateur doit également pousser les participants à ne pas se satisfaire des premières solutions imaginées qui sont très souvent insuffisamment pertinentes. Pourquoi ? Parce que le commun des mortels a horreur du vide, des questions non résolues et a une fâcheuse tendance à vouloir sauter directement à l’étape de solution avant d’avoir bien identifié et formulé le problème. Inspirons-nous d’Einstein : « Si j’avais une heure pour résoudre un problème, je passerais cinquante-cinq minutes à définir le problème et seulement cinq minutes à trouver la solution. »
Enfin, le design thinking est un processus itératif.
La prototype permet de tester l’idée.
Le droit à l’erreur doit être non seulement accepté mais aussi revendiqué et encouragé. L’erreur est à l’origine d’une meilleure idée. Le principe est d’échouer vite pour réussir encore plus vite, afin d’éviter de partir dans une mauvaise direction et de ne plus pouvoir faire marche arrière, faute d’y avoir investi trop de temps et de ressources (personnes et budget). Il faut également se méfier d’un prototype trop « joli », auquel on risque de s’attacher (surtout si l’on n’a pas l’habitude d’en faire) et que l’on aura du mal à voir modifié, et privilégier le prototypage « quick and dirty » pour valider le concept et non pas la forme.
Si le prototypage permet de tester rapidement une idée, il permet également de visualiser un concept afin de mieux le communiquer, de provoquer le débat et/ou d’y faire adhérer les différents acteurs concernés. Il possède un pouvoir fédérateur très puissant. C’est la démonstration par la preuve.
Cette démarche de visualisation des données est très riche dès la phase amont de diagnostic du contexte, de l’écosystème d’acteurs, de la problématique. Il s’agit d’un premier livrable qui permet de rendre lisible la complexité et de mettre à jour de manière synthétique les différents nœuds à résoudre.
L’objectif final est de scénariser, sous forme de story board ou de vidéo, les solutions conçues afin de les rendre désirables auprès du plus grand nombre mais aussi pour mieux susciter le débat.
Pourtant, l’application de ces 3 grands principes du design thinking, telle la réalisation d’une recette, ne suffit pas.
D’ailleurs certains sont allés jusqu’à prétendre que le design thinking était mort. Il n’apportait pas les bénéfices attendus lorsque certains cabinets de conseil l’appliquaient sous forme de simple méthodologie d’innovation, oubliant le principal, à savoir les valeurs de la démarche : l’humain certes mais aussi le respect, la transparence, la simplicité, la transdisciplinarité, le sens, l’éthique.
La connaissance théorique et la force de vente ne font donc pas tout.
Par ailleurs, la démarche nécessite d’être mise en œuvre par une personne neutre chargée de préserver le questionnement et la liberté créative de chaque personne de l’équipe projet. Cette personne doit également informer la direction des travaux en cours. Une des difficultés est de faire accepter au sponsor l’indispensable lâcher prise dont il va devoir faire preuve. Le second écueil est de réussir à passer de l’idée à l’action, en passant par les indispensables boucles itératives.
Comme une plante qui émerge d’une pierre de béton, qui a besoin d’une dose adéquate d’eau et de soleil, le design thinking a besoin d’être mené avec justesse.