Design Thinking, UX Design, UI Design, Service Design… Aidez-moi, je suis perdu·e

Avec tous les termes qui gravitent autour du design, je comprends que vous soyez perdu.e. Voici une tentative de clarification.

Qu'est-ce que le design ?

D’après le Petit Robert, le design est une « esthétique industrielle appliquée à la recherche de formes nouvelles et adaptées à leur fonction (pour les objets utilitaires, les meubles, l’habitat en général) ». Le design est aussi un adjectif : « d’un esthétisme moderne et fonctionnel ».

Si l’on regarde son étymologie, le terme « design » vient du mot latin « designare » qui se traduit indifféremment par designer ou dessiner. Le terme design recouvre donc à la fois la notion de dessin, de composition visuelle, de matérialisation, mais aussi celle de dessein, d’intention et de processus. « Faire du design, ce n’est pas seulement marquer quelque chose d’un signe (signifiant), mais aussi forger un « projet », qui s’incarnera dans le signe, c’est-à-dire donner un sens (signifié) ». Brigitte Borja de Mozota, spécialiste du design management, a ainsi résumé le design par l’équation : « DESIGN = DESSEIN + DESSIN ». C’est ce que j’appelle de mon côté créer « la forme au service du fond ».

Pour les historiens du design, c’est William Morris, jeune artiste anglais issu des arts décoratifs et lecteur assidu de Marx, qui est communément considéré comme étant à l’origine du design. En 1861, il s’indigne fortement contre le mauvais goût industriel. Selon lui, « le renouveau et la défense des arts décoratifs sont le seul moyen de sauver l’homme de l’industrialisation, en réhabilitant le travail d’auteur de l’artiste par un artisanat ornemental de qualité, et en améliorant en même temps le cadre de vie offert par la société moderne ». William Morris voit dans les arts décoratifs un moyen de faire progresser la société moderne, de la sauver du fléau de l’industrie en améliorant le cadre de vie. Cette rencontre entre les arts décoratifs et l’industrie, d’abord sous la forme d’un rejet, est à l’origine du design et pose l’idéologie du design : créer un monde meilleur.

Dans les années 70, le recours au design est généralisé dans beaucoup d’industries. L’objectif est alors de mieux dessiner les objets. Il existe une demande énorme pour le produit esthétique, dans la mouvance du livre de Raymond Loewy « La laideur se vend mal ». L’idée dominante est que la fonction crée la forme.

Dans les années 1990, la problématique du design est abordée différemment. On quitte l’objet fonctionnel pour aller vers la séduction. Un nouveau levier de différenciation est l’émotion. C’est l’apparition du design d’auteurs et des signatures avec par exemple l’emblématique Philippe Starck et son presse-citron : il ne s’agirait pas tant de presser un citron que de déclencher une conversation autour de l’objet.

C’est aussi la grande époque de la découverte du design par le marketing, qui ne cherche pas à créer un monde meilleur mais à faire acheter aux consommateurs ce que l’entreprise a décidé de vendre. L’état d’esprit « push » du marketing (vendre pour faire du chiffre d’affaire) l’emporte sur l’état d’esprit « pull » du design (répondre aux véritables besoins des individus pour leur améliorer la vie).

Lorsque le secteur des services devient prépondérant, que la concurrence devient très forte, que le consommateur devient expert et qu’il se laisse de moins en moins « manipuler » par le marketing, le défi pour le design est d’aller au-delà du produit et de redéfinir son périmètre d’interventions, notamment avec le design de service. Le rôle du design n’est plus tant de dessiner des produits que de répondre à des problématiques en dessinant des usages, des expériences avec des solutions beaucoup plus globales.

Apple propulse le design numérique en permettant la création d’applis, nouveaux supports minimalistes mais bien tangibles d’innombrables nouvelles expériences. Les appli qui survivent sont celles qui sont bien « designées », c’est-à-dire lorsque la forme est pleinement mise au service du fond.

Le design se détache de plus en plus du marketing, ou transforme le marketing, pour créer des offres qui répondent véritablement aux besoins des individus et qui engendrent dans un rapport gagnant/gagnant un fort niveau de chiffre d’affaire à l’entreprise. On pense ici à Apple, Google, Airbnb, Uber, Blablacar, etc.

On est bien loin du design esthétique de William Morris et le design glisse ainsi sensiblement du tout matériel pour englober de plus en plus d’aspects intangibles, de l’ordre du vécu, même si, au final, toute expérience se concentre à un moment où un autre dans un élément tangible.

On comprend que le design est une démarche d’innovation, de recherche de solutions. Herbert Simon, pionnier de la science de la conception, avait d’ailleurs écrit dès 1969 dans Les sciences de l’artificiel que le design était une démarche de résolution de problèmes.

On voit comment les champs d’intervention du design ont évolués, alors que les fondamentaux du design restent invariants :

  • questionnement à partir des « véritables » besoins des personnes concernées
  • recherche de solutions innovantes et pertinentes
  • la forme au service du fond
  • et une forte capacité à collaborer avec d’autres disciplines (sciences humaines, nouvelles technologies pour proposer des solutions les plus pertinentes possibles).

Qu'est-ce qu'un designer ?

Un designer est un professionnel qui a étudié le design dans une école de design. Il est principalement sélectionné sur son état d’esprit spécifique (appelé design thinking) et il développe ses compétences de designers, à partir de cet état d’esprit spécifique, durant 5 ans, notamment en travaillant sur des projets concrets d’entreprises.

Le rôle du designer n’est plus tant de dessiner des produits que de répondre à des problématiques en dessinant des expériences avec des solutions globales. Les designers sont des spécialistes de l’innovation et de la résolution de problématiques, y compris celles perçues comme insolubles. Le problème est qu’ils communiquent très peu sur leurs compétences et que 99% des français ne savent pas qu’ils existent.

Les écoles de design françaises les plus renommées aujourd’hui en termes de questionnement de problématiques complexes et de création de solutions pertinentes sont l’Ensci les Ateliers, l’école Strate, l’école de de design de Nantes et les Gobelins pour le design numérique.

Qu'est-ce que le design thinking ?

Le design thinking est tout simplement comme son nom l’indique la pensée, l’état d’esprit, voire même la philosophie des designers, et non pas une méthodologie comme on le lit trop souvent. Si c’était une méthodologie, on parlerait de « design methodology », si c’était un process, de « design process »…

Le design thinking, ou la pensée design, est la manière d’appréhender le monde et ses problématiques dans leur globalité (de manière systémique et en s’appuyant sur les autres disciplines) avec humilité, empathie et questionnement pour identifier les véritables problématiques à résoudre et ensuite faire appel à la créativité pour créer, tester et développer des solutions pertinentes en les confrontant à la réalité du terrain (l’humilité et la remise en question sont également ici essentielles). C’est un état d’esprit qui permet de trouver des solutions pertinentes à des problématiques qui paraissent insolubles.

Ma conviction est que nous avions tous dans notre enfance cet état d’esprit de découverte du monde avec raisonnement abductif (« et si on disait que ») et non pas seulement déductif ou inductif, sans a priori, sans jugement, avec empathie, avec humilité (on savait qu’on ne savait pas, sans aucune honte) et avec créativité (on inventait et on expérimentait quantité de choses avec nos mains afin d’en tirer des enseignements). Je pense que notre système culturel et éducatif a étouffé cet état d’esprit pour le remplacer par le jugement, la compétition, la non-remise en question, la faible créativité et la prédominance de l’intellect sur le manuel.

J’ai constaté à de nombreuses reprises que les designers ont été préservés de ce formatage. C’est précisément ce qui leur a permis d’intégrer une école de design. Ils en ressortent avec des compétences bien particulières qui leur permettent, en s’entourant d’autres disciplines complémentaires, d’apporter des réponses pertinentes à tout type de problématiques.

Cependant, c’est un fait, les entreprises et les administrations sont en demande de méthodologies. La question qui se pose pour chaque projet devrait être alors « comment co-créer rapidement et efficacement notre propre méthodologie, en intégrant nos propres contraintes et en nous appuyant sur l’état d’esprit du design thinking, pour atteindre nos objectifs » et non pas « appliquons la méthodologie de design thinking », en croisant les doigts pour que ça apporte les résultats escomptés… , tout comme un chef cuisinier se demandera « quelle recette inventer avec les ingrédients, le matériel et le temps dont je dispose pour satisfaire au mieux mes clients ? » et non pas « faisons la recette du bœuf bourguignon » alors qu’il n’a plus de carottes et qu’il dispose d’une heure devant lui.

Le design thinking présenté comme une méthodologie ou une recette à suivre, de surcroit sans designer, est donc un non-sens absolu. C’est une malheureuse tentative de faire rentrer dans un moule, dans le mode de pensée business, qui a besoin de modèles, de prêts à penser, un état d’esprit qui, par nature, ne peut pas être formaté puisqu’il repose sur le questionnement permanent et le non-formatage.

Faire du design thinking une méthodologie
est lui faire perdre toute sa substantifique moelle.

D’ailleurs, IDEO, agence de design américaine, berceau du design thinking qui a notamment créé la première souris d’Apple, ne se passe jamais de designers ! Et le titre de leur livre était « Change by design ». C’est l’éditeur français qui avait jugé bon de rajouter : « le design thinking est trop important pour le laisser aux seules mains des designers »… ouvrant ainsi la boîte de pandore aux personnes réduisant le design thinking à une méthodologie… et aux professionnels du marketing prêt à vendre tout ce qui est tendance sans se préoccuper des impacts négatifs engendrés…

On a effectivement tous intérêt à développer notre état d'esprit design, et en même temps, ça ne fait pas pour autant de nous des designers. La nuance est essentielle.

Il est donc indispensable que vous sachiez que le véritable design thinking se pratique avec des designers en raison de leur état d’esprit et de leurs compétences spécifiques, que l’approche se réinvente constamment et que vous devez clarifier votre niveau d’ambition, votre retour sur investissement souhaité et les risques que vous prenez lorsque vous souhaitez entreprendre un projet de design thinking.

Si vous n’intégrez pas de designer, modérez votre niveau d’ambition, n’en attendez pas un fort retour sur investissement et soyez attentifs aux réactions de vos collaborateurs (« c’est sympa mais dans notre organisation on ne va rien pouvoir en faire »). En effet, si la méthodologie n’a pas été conçue sur mesure en fonction de vos contraintes, celles-ci empêcheront, à un moment ou un autre, le déploiement de votre solution. Vos collaborateurs ne sont jamais dupes et vous savez bien à quel point ils se désinvestissent lorsqu’ils ont le sentiment de perdre leur temps ou qu’ils s’attendent à un faible retour sur investissement.

Si vous avez un haut niveau d’ambition et que vous souhaitez un fort retour sur investissement, je ne peux que vous conseiller de mettre en place un véritable projet de design thinking, qui intègre un ou des designers dans la démarche, et ceci dès l’amont du projet.

Qu'est-ce que le co-design ?

Le codesign signifie que la démarche employée pour concevoir une innovation est collaborative c’est-à-dire que le designer travaille avec les personnes destinataires de l’innovation. Il faut savoir qu’aujourd’hui, en raison du niveau de complexité des problématiques qu’ils adressent, les designers travaillent très souvent de manière collaborative.

Qu'est-ce que le design de service ?

Le design de service est un champ du design. Les designers peuvent concevoir des objets, des services, des outils numériques, des environnements, de l’information facile à comprendre (c’est ce qu’on appelle infographie, design d’information ou visualisation de données) et de manière très générale des expériences qui ont pour spécificité d’être pertinentes, intuitives et harmonieuses. On parle alors de l’User eXperience (UX) des utilisateurs.

Qu'est que l'UX et l'UI ?

L’UX est la User eXperience et l’UI la User Interface. L’UX est l’expérience utilisateur que le designer conçoit pour une certaine catégorie d’utilisateurs. L’UI est la mise en forme de l’information, ou le design d’information de l’interface numérique.

Le domaine numérique est le premier à avoir compris et intégré l’apport du design, notamment grâce à la vision de Steve Jobs qui a intégré le design dans l’ADN d’Apple, ce qui lui a permis de créer de nouvelles expériences qui bouleversent nos vies. Le terme UX est donc communément associé au monde numérique. Cependant, tous les designers conçoivent des expériences utilisateurs (de l’UX) y compris le designer d’intérieur qui conçoit les expériences que les personnes vont vivre dans un espace donné.

Qu'est que le design management ?

Le design management est l’intégration optimale de la fonction design dans la stratégie de l’entreprise ou de l’administration. L’objectif est de maximiser les capacités d’innovation et la performance de l’entreprise.

De manière optimale, la fonction design doit être rattachée à la Direction, comme c’est le cas chez Apple. Les designers sont alors en mesure d’apporter leur état d’esprit et leurs compétences sur deux sujets hautement stratégiques :

  1. L’innovation à destination des clients/utilisateurs à forte rentabilité : appréhender le marché de manière proactive et non pas réactive en identifiant les besoins non assouvis et non exprimés des clients (et non pas en se calant par rapport à la concurrence) et être au bon niveau hiérarchique et décisionnel pour créer de nouvelles offres d’expériences à forte valeur ajoutée pour les utilisateurs et à fort retour sur investissement. C’est la place que Steve Jobs avait donné à son designer, Jonathan Eve, qui a quitté Apple il y a quelques mois… Il sera intéressant de voir si Apple va continuer à transformer nos vies comme c’était le cas à l’époque de Steve Jobs et de Jonathan Eve…

  2. L’innovation interne (=la transformation) : accompagner l’entreprise dans sa transformation continue et son indispensable agilité en insufflant son état d’esprit le plus largement possible et en menant ses projets de transformation en s’appuyant sur le design thinking avec les collaborateurs du terrain. Le résultat est la responsabilisation et l’engagement des collaborateurs, un changement co-construit et pertinent, et une optimisation de l’adhésion à ce changement. Il est en effet curieux de constater que lorsqu’on aborde la conduite du changement, les consultants partent toujours du postulat qu’une situation idéale est créée en amont par un groupe d’ « experts » et que l’enjeu principal est de convaincre les collaborateurs (forcément résistants) du bien-fondé de cette situation « idéale » (on en revient à notre culture du sachant omnipotent et de l’exécutant, culture qui n’arrête pas de montrer ses limites…). La démarche de transformation par le design thinking consiste au contraire à questionner la problématique avec les parties prenantes concernées (= celles qui sont les mieux placées pour en connaître toutes les subtilités, la différence entre le travail réel et le travail prescrit étant toujours énorme) et de leur faire co-construire ensemble la situation idéale, en intégrant des designers dans l’équipe et en s’appuyant sur un facilitateur chevronné qui guide et challenge les participants avec exigence et bienveillance.

Attention, l’enjeux lors de l’intégration des designers dans la stratégie d’une entreprise est de les laisser pleinement exprimer leur état d’esprit et leurs compétences et de les articuler intelligemment avec les autres fonctions de l’entreprise. Les GAFA excellent en cela et on en voit constamment tous les résultats. La banque espagnole BBVA est allée très loin dans son intégration du design avant qu’un changement de Direction ne remette tout en cause…

En France, de nombreux managers ont compris l’intérêt du design, que ce soit chez Orange, Jansen & Jansen, le Société Générale, EDF, etc. et ils font bouger les lignes, avec beaucoup de détermination. Cependant les dirigeants qui ont compris l’importance du design et la nécessité de le positionner au plus haut niveau hiérarchique sont malheureusement extrêmement rares… Blablacar en est un bel exemple et Air France prend actuellement un très beau chemin en positionnant le design dans l’ADN de sa Digital Factory.

Et avez, avez-vous envie de faire bouger les lignes en rejoignant le groupe restreint des personnes qui ont vraiment compris ce qu’est le design ainsi que sa valeur ajoutée pour répondre aux enjeux de notre époque ?

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Aurélie Marchal

Ancienne auditeur interne bancaire, j’ai appris à faire des diagnostics et à émettre des préconisations. D’esprit très critique, à la recherche de sens et de résultat, j’ai beaucoup questionné la pertinence de ce qu’on m’inculquait et l’état d’esprit sur lequel cela reposait. Je me suis formée à d’autres démarches qui reposent sur d’autres états d’esprit (Design Thinking, Creative Problem Solving, Approche Neurocognitive et Comportementale, Lego Serious Play, Coaching, Communication Non Violente) et j’ai créé ma propre approche que j’améliore sans cesse depuis 2011 et qui aboutit à des résultats très pertinents.